L’aide au développement axée sur la santé se concentre essentiellement sur le VIH/sida. Cette chronique soutient que cette concentration néglige les questions démographiques essentielles et dégrade les infrastructures de santé, en particulier en Afrique subsaharienne. La règle première de l’aide au sida devrait être « D’abord, ne pas nuire ».
Depuis la conférence du Caire de 1994 sur la population et le développement, les droits des femmes en matière de santé reproductive ont fait l’objet d’une attention particulière. Et des progrès semblent avoir été accomplis dans le monde entier, à en juger par les statistiques mondiales globales sur la santé génésique (voir Ross et al. 2005).
Ce succès apparent semble avoir rendu les conseillers politiques et les défenseurs des droits trop confiants dans le fait que les niveaux de fécondité et la santé maternelle ne sont plus un problème. Ils ont changé de cap pour se concentrer presque exclusivement sur le VIH/SIDA, qui n’a reçu que 7 % des fonds du pacte du Caire de 1994.
L’investissement dans la santé devrait être un acte d’équilibre délicat, mais la figure 1 rend le déséquilibre actuel éminemment clair. Pratiquement toute l’attention et tous les efforts vont désormais au VIH/SIDA. Juste après la conférence du Caire, la situation était tout à fait inverse. Les pays donateurs de l’OCDE allouaient 54 % de leurs fonds affectés à la planification familiale, 15 % aux soins de santé génésique et 10 % au VIH/SIDA. Les investissements dans la santé maternelle se retrouvent en grande partie dans le système des Nations Unies sous les rubriques de la santé génésique et du planning familial.
Les soins de santé maternelle à l’arrière-plan de l’esprit et du cœur des donateurs
Le VIH/sida évince presque totalement les fonds destinés à la santé maternelle. En 2005, le VIH/sida a reçu 72 % des 6,8 milliards de dollars de financement total des donateurs, et cette évolution ne semble pas devoir s’inverser dans un avenir proche. Les organisations d’aide sont toujours engluées dans la vieille rhétorique de l’aide au développement qui consiste à « déplacer l’argent ». La réunion de haut niveau sur le sida organisée par les Nations unies en 2008 en est une autre illustration. Le scénario de l’accès universel d’ici 2010 nécessite des ressources comprises entre 27 et 43 milliards de dollars en 2010 et entre 35 et 49 milliards de dollars en 2015. Pour combler ce fossé, il est indiqué que les engagements actuels des donateurs internationaux doivent être respectés et que de nouveaux engagements doivent être pris.
Bien sûr, une grande partie de l’attention et de l’argent va à l’Afrique subsaharienne, mais même ici, on aimerait voir une approche d’investissement plus équilibrée. Soixante-treize pour cent de l’aide des donateurs transférée à l’Afrique subsaharienne est allouée au VIH/SIDA (calculé sur la base de la base de données UNFPA/ONUSIDA/NIDI). En d’autres termes, les soins de santé maternelle sont passés au second plan dans l’esprit et le cœur des donateurs.
Le principal moteur de ce résultat déséquilibré est un mélange de :
une réelle préoccupation pour le VIH/SIDA,
le traitement déséquilibré du planning familial dans les objectifs de développement du millénaire,
l’idée confortable mais naïve que la fécondité va ralentir par sa propre dynamique interne, et
la domination écrasante des États-Unis qui font valoir leurs propres priorités dans les programmes de santé mondiaux (van Dalen et Reuser, 2006).
La domination est rarement saine, en privé comme dans les affaires publiques, car les valeurs religieuses continuent de jouer un rôle dominant dans l’allocation des fonds des donateurs (van Dalen, 2008). En accord avec les donateurs, les gouvernements nationaux et les ONG d’Afrique subsaharienne ont alloué 77 % de leurs fonds au VIH/sida en 2005.
Accorder trop d’importance au VIH/sida nuit à la santé des Africains
Deux raisons principales expliquent pourquoi l’éviction des investissements dans la santé maternelle par le VIH/sida est inquiétante.
1) Les programmes de lutte contre le VIH/sida bénéficieraient considérablement d’une approche plus équilibrée, car les investissements dans la santé maternelle et la planification familiale sont au cœur des problèmes des pays subsahariens – des taux de croissance démographique élevés qui maintiennent de nombreux pays dans la pauvreté (Cleland et Sinding, 2005).
Dans la plupart des pays, l’indice synthétique de fécondité, c’est-à-dire le nombre total d’enfants prévu par femme, tourne autour de cinq, bien au-delà du taux de remplacement de 2,1 enfants. À en juger par les enquêtes sur la santé démographique réalisées dans les pays en développement, les taux de fécondité souhaités ont diminué plus rapidement au fil du temps que les taux réels. Cela se traduit par des niveaux élevés de besoins non satisfaits et des proportions importantes de naissances inopportunes ou non désirées. Une fécondité élevée entraîne des taux de croissance démographique rapides, ce qui exacerbe les pénuries en matière de soins de santé, d’éducation, de terres pour les agriculteurs et de tous les autres domaines publics de la vie.
La planification familiale pourrait atténuer certains de ces problèmes. Mais apparemment, ce n’est plus le sujet « brûlant » qu’il a été pendant si longtemps lors de nombreuses conférences sur la population. Des initiés à ces négociations affirment que le planning familial semble même être redevenu « moralement suspect » (Blanc et Tsui, 2005).
C’est d’autant plus regrettable que les preuves de progrès en matière de santé maternelle sont rares et que les investissements sont très nécessaires. Le risque de décès maternel au cours de la vie dans les pays en développement est toujours aussi élevé : 1 femme sur 61 meurt dans ces pays de causes liées à la grossesse, et les chiffres sont encore pires pour l’Afrique subsaharienne (1 femme sur 16 meurt), alors que dans le monde développé, le risque est de 1 sur 2800.
2) L’augmentation sans précédent des fonds consacrés au VIH/SIDA perturbe la politique budgétaire et les systèmes de soins de santé locaux, alors qu’un investissement plus équilibré dans la santé génésique et le VIH/SIDA permettrait d’utiliser l’infrastructure existante.
Les programmes verticaux comme le VIH/SIDA érodent les systèmes de soins de santé primaires dans les pays en développement. Les nouveaux fonds destinés au VIH/sida submergent les budgets de santé publique, dépassant dans certains cas 150 % de l’allocation totale du gouvernement aux soins de santé (Lewis, 2006).
Trop d’argent doit être dépensé en un temps trop court. Une telle situation, en particulier dans les conditions d’extrême pauvreté et de mauvaise gouvernance qui prévalent en Afrique subsaharienne, entraîne facilement le « débauchage » des travailleurs de la santé et des bureaucrates d’autres projets publics valables.
Les grands projets d’investissement « éléphants blancs » signalent aux donateurs que l’argent est dépensé, mais malheureusement, il ne l’est pas à bon escient. Lorsque les systèmes de gouvernance publique sont faibles, ces sommes importantes mais volatiles d' »argent facile » favorisent la corruption, le travail au noir et l’absentéisme dans la prestation des soins de santé (Banque mondiale, 2004).
L’aide étrangère non subordonnée à la bonne gouvernance peut être gravement préjudiciable aux institutions politiques. Les donateurs et les agences internationales devraient respecter le serment d’Hippocrate : ne pas nuire.
L’histoire de l’aide étrangère en Afrique subsaharienne n’est pas heureuse : l’action collective est un acte d’équilibre complexe et délicat. Consacrer d’importants budgets d’aide au VIH/sida est un cocktail délicat, et un mélange déséquilibré peut faire plus de mal que les donateurs ne l’imaginent. L’aide étrangère devrait être guidée non pas par des opinions éphémères et la charité, mais par des preuves et un véritable engagement, visant à trouver des solutions durables à long terme.